“Je ne vois encore personne qui utilise le Retail Media d'une manière qui ait
de la valeur pour le client lui-même”
« Avant la pandémie, nous étions “member-centric”. Aujourd'hui, nous sommes “member-obsessed » Ce fut l’un des enseignements clé de Megan Crozier,Executive Vice President and Chief Merchant de Sam's Club (le club-entrepôt de Walmart), lors de sa conversation avec Matt Hamory, directeur général du cabinet AlixPartners, en septembre à la Conférence GroceryShop à Las Vegas.
Et si “être centré client” n’était plus suffisant ?
GroceryShop, la plus grande conférence mondiale sur la distribution alimentaire, a réuni pendant 4 jours les leaders à la tête des enseignes, les marques de CPG/FMCG, ainsi que tous les nouveaux prestataires qui changent (le mot est faible) la distribution alimentaire sous tous ses aspects.
J'ai eu l’immense honneur de m’entretenir avec Matthew Hamory après ses conférences (il fut en scène deux fois). Ses paroles sont précieuses. Matthew Hamory, l'un des meilleurs experts américains de la distribution alimentaire, a le double atout d'appartenir au prestigieux cabinet AlixPartners, indépendant de tout fournisseur ou agence ET d'intervenir et conseiller quotidiennement au plus haut niveau des conseils d'administration et des équipes dirigeantes de la distribution.
CE QUE VOUS ALLEZ DÉCOUVRIR
Quel était le thème central de Grocery Shop 2022 ?
En quoi le retail européen et britannique est-il mieux positionné que le retail américain ?
Comment se défendent les "petits" détaillants américains, qui n'ont pas la capacité financière des "géants" du secteur ?
Instacart : faut-il se lancer ?
Pourquoi le partage des données profite à la fois aux enseignes et aux marques, mais il reste aux enseignes à apporter davantage de valeur ajoutée
Pourquoi le Retail Media, dans sa forme actuelle, est loin de remplir ses promesses
Les technologies de la distribution qui font un flop,
et beaucoup d’autres recettes utiles à savoir pour réussir 2023.
INTERVIEW
Matthew Hamory
Megan Crozier,Executive Vice President and Chief Merchant de Sam's Club (Walmart), interviewée par Matt Hamory, directeur général du cabinet AlixPartners, en septembre à la Conférence GroceryShop à Las Vegas.
Laurence Faguer : Pour vous, quel a été le thème clé de cette conférence Grocery Shop?
Matthew Hamory : Je pense qu'il y a deux ou trois choses particulièrement intéressantes en ce qui concerne la technologie et la distribution alimentaire.
Il est certain qu'aux États-Unis, la technologie est très datée. Il m'est difficile de parler du continent européen et du Royaume-Uni, mais, par exemple, en France, vous avez Carrefour, Auchan, Casino et d’autres très grandes enseignes. Même chose en Allemagne, et même chose au Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, les plus grands acteurs, Walmart, Kroger, Albertsons, et quelques autres, représentent toujours moins de 40% du marché. Le marché est donc très fragmenté.
N'est-ce pas inévitable, dans un continent aussi vaste que les États-Unis, et est-ce une si mauvaise chose ?
Cela signifie en partie que la plupart des distributeurs alimentaires aux États-Unis sont relativement petits. Ainsi, si vous prenez, disons, les 100 premières enseignes alimentaires américaines, les 15 premières environ réalisent en chiffre d'affaires de quelques centaines de milliards comme Walmart à 70 milliards de dollars, comme Albertson's. Et le numéro 10 ou le numero 15 représente environ 30 milliards de dollars. Mais ensuite, entre le numéro 15 et le numéro 90, vous avez 75 enseignes qui font entre un et 30 milliards de dollars. On parle donc là de 75 entreprises. C'est un nombre plutôt élevé, non ?
Oui. Mais une chaîne qui génère de 1 à 10 milliards de dollars n'a pas à avoir honte. C'est déjà une bonne taille
Oui. Même à un milliard de dollars, vous aurez toujours 50 à 80 magasins. C'est beaucoup de business mais ces enseignes alimentaires sont trop petites pour faire de gros investissements technologiques. Si vous pensez aux grands acteurs - et évidemment aux enseignes européennes - elles ont mis en œuvre Oracle, SAP, toutes ces grandes solutions ERP. La plupart des enseignes alimentaires américaines ne l'ont pas fait et ne le feront pas. Elles n'ont pas beaucoup de capital à dépenser dans la technologie et une grande partie de ce capital est consacrée à la maintenance des systèmes existants.
Le manque de capitaux à investir peut donc les mettre en position de faiblesse, dites-vous. Que conseillez-vous à ces entreprises ?
Beaucoup de mes clients sont ici, à Grocery Shop. Certains d'entre eux utilisent des plates-formes technologiques qui ont 20 ou 30 ans, et ils sont vraiment intéressés à trouver des moyens de sauter une ou deux générations de technologie. Plutôt que de rattraper le retard et de dépenser une somme d'argent considérable, existe-t-il un moyen de passer d'un serveur ancien au cloud ou à d'autres choses de ce genre ? C'est pourquoi je pense que Grocery Shop est si intéressant, car tous ces fournisseurs de technologies travaillent sur tout ce que vous pouvez imaginer - sur l’analyse des données, l'intelligence artificielle pour la commande vocale, les promotions, la gestion de la main-d'œuvre - vraiment tout. Pour moi, si vous voulez, le grand sujet, c’est que l'industrie alimentaire américaine est à la recherche d'une technologie miracle.
J'ai assisté à la conférence avec Fidji Simo, CEO d'Instacart et Tony Xu, CEO de DoorDash. Vos clients ont-ils un peu peur de la croissance d'acteurs comme Instacart et Doordash ?
Comme dans beaucoup de pays, lorsque la pandémie a frappé, la plupart des enseignes alimentaires américaines n'étaient pas préparées au digital et à la livraison. Walmart était en assez bonne position, Kroger aussi, et il y en avait d'autres. Mais si vous reprenez la liste de toutes ces enseignes, la plupart d'entre elles n'étaient pas prêtes à passer à la commande digitale, à la livraison ou même au click and collect. Évidemment, Instacart a été un énorme bénéficiaire et a connu une croissance très rapide. DoorDash a commencé à se lancer sur ce marché, tout comme Uber Eats. Il existe une série de prestataires de services de ce type sur le marché de la commande en ligne et la livraison.
Quel est le paysage actuel ?
Actuellement, si je résume, Walmart a construit son propre système, Kroger a son propre partenariat ; ils travaillaient avec Instacart, et ils ont quitté Instacart. Mais beaucoup d'autres enseignes alimentaires travaillent avec un ou plusieurs de ces acteurs, Instacart, DoorDash, ou d'autres.
Le témoignage de Sabrina Lantoine, Directrice des Partenariats E-Commerce Groupe chez Carrefour, sur le booth de Uber Eats à GroceryShop.
Que pensez-vous de cette décision de travailler avec un partenaire pour la livraison ?
Je pense qu'il y a deux aspects à cela. D'abord, ces enseignes ont besoin de ces partenaires parce qu'elles ne peuvent pas livrer elles-mêmes, et qu’il est difficile et coûteux de construire l’infrastructure.
Mais elles ont aussi un peu peur car elles risquent de perdre la relation avec le client. Prenons l'exemple de Wegmans, dans le nord-est des États-Unis, une enseigne alimentaire fantastique et très bien gérée. Elle a conclu un partenariat avec Instacart, ce qui signifie que lorsque ma femme fait des achats en ligne, elle se rend sur le site Web d'Instacart et achète des produits auprès d'Instacart, mais elle ne touche pas Wegmans de la même manière que si elle était dans le magasin ou sur une application ou un site Web de Wegmans.
Je pense donc que le grand risque auquel pensent ces enseignes est le suivant : est-ce que je mets quelqu'un d'autre entre moi et mon client ? Et comment peser ce risque par rapport à la possibilité de faire quelque chose pour mon client que je ne pourrais pas faire autrement, la livraison ? Je pense que beaucoup de distributeurs évaluent ces relations en ce moment. Cela a-t-il un sens ? Y a-t-il d'autres alternatives ? Et en même temps, si nous prenons Instacart comme exemple, Instacart fait de grosses acquisitions, et ils développent vraiment leurs capacités.
Instacart Platform : le stand d’Instacart à GroceryShop, proposant aux enseignes une grande partie de leurs services et technologies en marque blanche.
J'ai été très surprise de voir le booth d'Instacart appelé “Instacart platform". C'est incroyable. Ils proposent leur plateforme en marque blanche
Ils ont compris qu'une grande partie de l'industrie les considère à la fois comme une ressource et un ennemi. Je ne travaille pas avec eux, donc je ne fais qu'observer. Mais ils semblent faire de grands efforts pour devenir de meilleurs partenaires et aider à résoudre un plus grand nombre de problèmes auxquels les distributeurs alimentaires sont confrontés.
Cet aspect d'Instacart n’est pas bien connu en Europe, je pense.
Et c'est relativement récent, entre six à huit mois. C'est donc assez nouveau pour Instacart, à mon avis.
« Pour les enseignes, le partenariat avec les CPG sur les données est intelligent
si ces enseignes peuvent y ajouter de la valeur »
J'ai aussi beaucoup entendu parler du partage des données entre les CPG et les distributeurs. Chez AlixPartners, encouragez-vous vos clients à le faire ?
C'est un sujet d'actualité depuis plus de dix ans. À l'heure actuelle, la plupart des CPG, du moins aux États-Unis, s'appuient vraiment sur les données fournies par Nielsen et IRI, et ils achètent des données à certains des grands retailers.
CVS et Walgreens, dans la catégorie pharmacie, vendent beaucoup de données. Et certains des autres grands distributeurs font de même en travaillant avec leurs fournisseurs. Kroger ne le fait pas parce qu'il construit tout lui-même.
Je pense que si on le fait de la bonne manière, il y a beaucoup de valeur pour les CPG. Lorsque vous analysez les données Nielsen, vous n'avez pas une grande granularité, vous pouvez dire si quelqu'un achète le produit ou non, mais vous ne pouvez pas dire avec quels autres articles ils l'achètent, quelles sont les occasions d'achat de votre article et si différentes tactiques, promotionnelles, publicitaires, ont un impact. Si vous voulez comprendre cela en tant que CPG, vous devez disposer de données provenant du distributeur.
Beaucoup d’enseignes alimentaires américaines collectent beaucoup de ces données depuis longtemps sans en faire grand-chose. Peut-être un peu d'analyse des promotions, mais ils ne les utilisent pas encore vraiment pour prendre des décisions essentielles sur l'assortiment, le merchandising dans le magasin, et ce genre de programmes plus systémiques.
Je pense donc que le partenariat avec les CPG sur les données est intelligent si les enseignes peuvent y ajouter de la valeur. Se contenter de vendre l'information n'est pas aussi bon. Cela signifie que beaucoup d’enseignes alimentaires doivent se doter d'une capacité d'analyse parce qu’elles n'ont pas la capacité interne de comprendre la signification des données.
Nous parlons aussi beaucoup de Retail Media. Pensez-vous qu'il s'agira d'une nouvelle ligne de business importante pour les distributeurs ?
Je ne sais pas encore. C'est un sujet à la mode, tout le monde en parle. La plupart des distributeurs que je connais sont attentifs, travaillent sur le sujet et ont déjà mis en place quelque chose. Pour moi, cependant, ce n'est qu'une pièce du puzzle. Je connais certaines enseignes américaines qui ont mis l'accent sur l'aspect Media : Le faites-vous en magasin ? Le faites-vous sur l'application ? Je ne vois pas cela comme une raison pour laquelle les consommateurs vont choisir de faire leurs achats chez vous. Je pense qu'il s'agit de monétiser le trafic. Je ne pense pas que cela renforce vraiment votre relation avec le client.
Vous pensez donc que l'on en parle beaucoup pour pas grand-chose ?
Je dirais plutôt que si l'on s'y prend bien et que l'on construit quelque chose de holistique, cela peut être une pièce d'un grand puzzle à valeur ajoutée. Instacart en est un bon exemple : si les clients peuvent commander, se faire livrer, conserver des listes de courses, si vous pouvez leur diffuser des publicités et travailler avec les fournisseurs pour améliorer les publicités et la personnalisation, alors vous avez de nombreuses raisons réunies pour que les consommateurs utilisent votre plateforme digitale. Et il y a alors beaucoup de valeur pour le retail média. Je ne vois encore personne qui utilise le retail média d'une manière qui ait de la valeur pour le client lui-même. Ils ont de la valeur pour l’enseigne.
C'est bien pour commencer, mais je ne pense pas que cela vous permettra vraiment de gagner un peu plus d'argent tant que vous ne l'aurez pas réimaginé de la manière dont je viens de parler.
“Vous pouvez avoir une douzaine de technologies à choisir pour des sujets comme la livraison, une douzaine d’autres sur le sujet de la commande en ligne” - Ici les technogies mises en avant par l’équipe Content de GroceryShop, emmenée par Krystina Gustafson.
Vous identifiez toutes les nouvelles solutions technologiques du retail et vous savez ce que vos clients testent. Y a-t-il des technologies qui font le buzz et qui n'ont pas encore tenu toutes leurs promesses ?
Il y en a beaucoup qui sont en fait assez bonnes, mais si vous prenez quelque chose comme la technologie vocale dans l'assistance au shopping, beaucoup de gens en parlent. Mais si vous regardez comment les produits fonctionnent réellement, ils ne fonctionnent pas ou ne sont pas encore au point.
Je pense donc que selon le type de technologie dont vous parlez, elles sont presque toutes matures. Vous pouvez en avoir une douzaine à choisir pour des sujets comme la livraison, une douzaine d’autres sur le sujet de la commande en ligne. Parfois les produits n'existent pas encore vraiment, ou la technologie ne fonctionne pas encore vraiment, ou les prestataires n'ont pas d'exemples à montrer d’implémentations faites chez une enseigne.
Je pense donc que c'est mitigé. Mais comme vous le voyez ici à Grocery Shop, il y a beaucoup de personnes qui discutent ensemble, et toutes les entreprises technologiques sont ici. Je pense donc qu'il y a un bon niveau d'optimisme dans le secteur de la distribution alimentaire.
Les dirigeants que vous accompagnez chez AlixPartners sont-ils toujours optimistes, dans ce contexte d’inflation ?
Je pense que oui. Ces deux dernières années ont été très intéressantes pour les enseignes alimentaires américaines. La pandémie est arrivée et tous les épiciers ont dû travailler très dur pour y faire face. Mais le business a explosé, les chiffres d’affaires, en comparable, ont augmenté de 10 à 20 %. Et l’énorme croissance de l'activité s'est en grande partie maintenue.
Ainsi, beaucoup de distributeurs ont gagné beaucoup de parts de marché pendant la pandémie et les ont conservées. Et maintenant que les choses se normalisent, ils sont en quelque sorte en train de passer du stade de la pandémie à celui de l'inflation. Ils entrent dans cette période d'inflation avec plus de clients qu'ils n'en auraient eus, plus de demande qu'ils n'en auraient eue et plus de liquidités qu'ils n'en auraient eues.
Mais comme je l'ai dit, je pense que les personnes sont très demandeuses de bonnes solutions technologiques qui les aident à fonctionner plus facilement, à économiser sur les coûts et à améliorer leurs relations avec les clients. Et je pense que les différents types de technologie se trouvent à différents points de la courbe. La commande en ligne étant arrivée à maturité, il y a une douzaine d'options si ce n’est plus que vous pouvez utiliser. Soit Instacart - ce service complet - soit des solutions en marque blanche où vous pouvez opérer le prélèvement vous-même.
Interview Joel Bines, Managing Director, Co-leads the Global Retail Practice AlixPartners
Que font les meilleurs leaders de différent pour réussir dans le contexte actuel ?
Pour son 4th annual AlixPartners Disruption Index, AlixPartners a interrogé 3 000 dirigeants du monde entier pour approfondir la nature changeante de l'économie mondiale et ce que les dirigeants doivent faire pour s'adapter à ces changements et en tirer parti.
Une chose est claire : les dirigeants qui affirment être les moteurs du changement face aux perturbations se comportent différemment !
Le rapport est à télécharger ici et le film est à voir ci-dessous :
Mon métier de Chief Retail Strategist est d'identifier aux U.S. des innovations Retail Tech pour aider des groupes français à les transposer avec succès. Parlons-en !