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Mars 2024
ORLAN
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   « Beaucoup de textes me sont venus à l’esprit quand j’ai reçu cette invitation à participer à LIVRE OUVERT. J’ai tellement lu dans ma vie ! Mais j’ai rapidement su que je voulais parler de l’avant-propos de L’enseignement de la peinture, un livre rédigé par le théoricien Marcelin Pleynet, en 1971.
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L'enseignement de la peinture, MARCELIN PLEYNET,
1971, 224 pages.
  Cette préface est elle-même extraite d’un ouvrage chinois paru, lui, en 1679 : Le kie tseu yuan houa tchouan (en français, “les enseignements de la peinture du jardin grand comme un grain de moutarde”, l’un des traités de peinture les plus connus en Chine, NDLR).
« Les uns considèrent comme noble d'avoir de la méthode, les autres comme noble de ne pas avoir de méthode. Ne pas avoir de méthode est mauvais. Rester entièrement dans la méthode est encore plus mauvais. »
   Extrait de l'avant-propos de L'Enseignement de la peinture, écrit par Marcelin Pleynet en 1971.
   Ce texte m’a percutée, bouleversée, suivie toute mon existence. Je ne pourrais pas vous donner la date précise de quand je l’ai lu la première fois parce que je suis fâchée avec les dates, mais j’étais très jeune, encore adolescente. Aujourd’hui, mes élèves en école d’art l’ont entendu, eux aussi, des centaines de fois. Je le cite très souvent, car les leçons essentielles de l’Art, mais aussi de la vie — a fortiori la mienne, résident dans ces mots.
Il y est dit, sans faux-semblants, qu’il faut apprendre à être et à voir par soi-même. Qu’il faut se ‘déformater’. Désapprendre, en somme. La quête d’une vie. 
  Ce texte parle de sortir du cadre, des stéréotypes, des diktats du moment. Mais aussi d’avis qui divergent, de contre-courant… Ma vie est faite ainsi.
  Si je suis ORLAN en lettres capitales, c’est que je ne veux pas rentrer dans le rang. Si je suis ORLAN en lettres capitales, c’est que je veux m’émanciper sans cesse et me remettre en question. Penser, c'est toujours penser contre soi.
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Lecture au bloc lors de la 4ème opération d'ORLAN (1991)
   En tant que femme, il n'est pas question qu'on me réduise. D’ailleurs, je n’aime pas les identités fixes. Je suis pour les identités nomades, mutantes, mouvantes. Il faut sans cesse s’émanciper, se repenser et s’affranchir de soi-même.
   Je déteste les règles, je les dérègle et invente pour les autres. C'est féministe, comme attitude, et artistique en même temps.
Pour rien au monde je ne voudrais ressembler à autre que moi, et c’est de ça dont il est question dans ce texte. 
   On y trouve un questionnement sur la méthode à adopter, sur le fait de savoir si oui ou non nous devons l’appliquer. Mais si nous appliquons tous la même, ne deviendrions-nous pas tous pareils ? Je crois au contraire que l’on ne peut que se nourrir des différences de l’autre — qui a toujours le tort d’être l’autre. 
   Ce texte déconstruit chaque principe que la société, mes parents, ma classe sociale,  mes professeurs ou mon environnement m’avaient inculqué. Il a su me faire voir bien au-delà des a priori, des prêts-à-penser. Depuis ce jour, j'étudie les phénomènes de société et confronte les informations. Puis, j'essaie de me situer par rapport à eux. Enfin, je définis quelle matière, quelle technique constituera l'œuvre. Et j’apporte ma matière. Je me demande dans quelle pratique artistique je vais me réaliser pour être cohérente par rapport à la colonne vertébrale de l'œuvre que j’ai construite théoriquement, tel un manifeste. Je crée mon art, mon art de vie, grâce à l’enseignement de cette préface.
 
« Il faut d’abord [observer] une règle sévère ; ensuite, pénétrer avec intelligence toutes transformations. Le but de la possession de la méthode revient à pas de méthode. »
Extrait de l'avant-propos de L'Enseignement de la peinture, écrit par Marcelin Pleynet en 1971.
   Les textes, les mots, les livres ont toujours fait partie intégrante de mes créations. Par exemple, j’ai demandé pour chacune de mes opérations-chirurgicales-performances à ne pas être totalement endormie. Cela me permettait de lire à voix haute pendant toute la durée de la performance. L'idée centrale pour chacune était de mettre en perspective les stéréotypes de beauté en détournant la chirurgie esthétique de son objectif premier de rajeunissement et d'amélioration. Je voulais que ces opérations n’apportent pas de la beauté, mais de la laideur et de la monstruosité, de l'indésirabilité. 
   L’ORLAN-CORPS-de-livres est un autre exemple de mon amour pour les livres et de la façon dont ceux-ci s’impriment en moi. 
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   Performance ORLAN-CORPS-de-livres
(entre 1979 et 2007)
   À l’occasion de ma résidence au Getty Research Institute, à Los Angeles, en 2007, j’avais demandé aux chercheurs et chercheuses en résidence avec moi cette année-là de me donner le titre d’un livre ayant le plus marqué leurs réflexions ou orienté leur œuvre, leur vie. Une fois collectés, je les ai tous posés sur un grand bloc de granit, à l’entrée du centre, là où les mots ‘Getty Research Institute’ étaient gravés. Puis, je me suis allongée à côté de ces ouvrages.
   J’ai alors demandé à ce que l’on retire tous les livres qui dépassaient la longueur totale de mon corps. J’ai ensuite lu ceux qui restaient. En continu, longtemps, en les annotant.
Les livres devenaient moi, et je devenais les livres. 
   J'ai réalisé cette performance plusieurs fois dans ma vie, dans des endroits et circonstances divers. Une performance du corps au corpus du livre. C’est donc assez cocasse que je fasse partie de cette newsletter, étant donné que je suis moi-même un livre ouvert renfermant les mots qui ont marqué mon esprit et ma vie. Textes dont l’avant-propos de L’enseignement de la peinture fait plus que jamais partie. »
— ORLAN
 
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