Billet littéraire no 133
Agnes Gruda
Ça finit quand toujours?, Éditions Boréal, Montréal, 2025, 477 p.
Les journalistes qui écrivent semblent porter plus d’attention aux faits, au déroulement des événements, aux dates et à la généalogie de leurs personnages. Cela va de soi puisqu’elles sont entraînées à reporter les faits, les actions et non à donner leurs opinions ou rédiger des chroniques. De plus, leurs textes sont vérifiés et contre-vérifiés par les experts qui les entourent. Parfois, cela peut alourdir le récit ou le roman qu’elles écrivent. Agnes Gruda n’est pas la première autrice ayant commencé sa carrière de romancière en tant que journaliste. Pour ma part, j’écris un peu mais je sais que les gens et les événements dans ma vie quotidienne m’inspirent et pourraient servir à ma fiction ou mes poèmes.
Cette œuvre est un roman, je dois encore me le répéter en écrivant ce billet. D’ailleurs l’éditeur ou l'éditrice partage peut-être mon point de vue. Je le crois, d’après cette citation sur la quatrième de couverture. “Elle nous parle de déracinement, de la fragilité des identités, mais surtout en mettant des femmes au cœur de son récit, elle réaffirme résolument la force irrépressible de la vie.” Agnes Gruda sait de quoi elle parle ayant émigré au Canada avec sa famille, dont sa sœur, Alexandra Szacka, à la fin des années 1960. D’ailleurs si vous lisez l’autobiographie de cette dernière, vous y trouverez des détails semblables à ceux dans le roman d’Agnes. Je crois que ce serait un très gros défi d’écrire en oubliant qui vous êtes et d’où vous venez.
Au début du livre, il y a une liste des noms et des familles qui forment la trame de l’histoire. Il y a quatre familles d’origine polonaise et juive. Cette page s’avère plus que nécessaire à la compréhension de la saga qui se déroule sur plusieurs générations. En effet, le polonais, avec ses nombreuses déclinaisons dans les noms de famille peut porter à confusion. J’ai dû mettre un signet à cette page, autrement j’aurais perdu le fil de l’histoire. En plongeant dans cette saga, je voulais bien suivre leur parcours.
Le roman débute avec l’arrivée de Ewa et Adam, un gars et une fille nés le même jour dans le même hôpital, de deux mères différentes, Janina et Pola. L’amitié entre les deux mamans va naître et grandir pour inclure les pères et les familles élargies. Tous habitent une ville en Pologne, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, des intellectuels avec des diplômes de haut niveau mais pauvres.
Les gens de cette époque vont connaître la mort de Staline et le gouvernement communiste qui va évoluer de manière à exclure les citoyens d’origine juive. Ces deux familles vont se lier avec deux autres familles et rester en contact toute leur vie. L’autrice nous fait découvrir leur quotidien, les files d’attente pour la nourriture, pour les tickets nécessaires afin de se procurer les biens essentiels comme les vêtements, les meubles, etc. Les appartements sont rares et il est fréquent de se retrouver à quatre ou cinq dans un logement d’une chambre à coucher. Si une personne essaie de se procurer des biens autrement, elle court le risque de se faire arrêter par le Parti Communiste. Les Juifs polonais sont décrits comme des sionistes, ils n’ont plus de papiers officiels, de statut citoyen. Ces familles vont choisir leur destinée. Il y aura un départ pour Israël, un autre pour le Canada, un pour les États-Unis et une famille va demeurer en Pologne et lutter pour des changements.
L’autrice nous raconte leurs voyages et leurs aventures, leurs malheurs et leurs succès ainsi que les efforts pour garder contact au fil des ans. Le roman se termine avec un mariage en Israël qui rassemble la plupart des membres de ces familles avec leurs enfants et leurs petits-enfants. La boucle est bouclée par les jeunes de la deuxième génération et le décès des aînés. Ce roman nous donne un aperçu fascinant sur les parcours et les embûches des immigrants. Il nous raconte les défis, les succès et leurs espoirs d’une vie meilleure. Agnes Gruda réussit à nous entraîner dans leur vie, à nous les faire aimer et à mieux les comprendre. Gruda a remporté le Prix Stanilas du meilleur premier roman en France; elle est en lice pour le Prix du roman Fnac. Le roman a aussi été retenu dans la première sélection du prix Interallié. Un vrai succès, bien mérité!
Bonne lecture! Johanne Berger